Cher Monsieur Besson,

Je vous fais une lettre, que vous lirez peut être si vous avez le temps1

La lassitude me gagne, je l’avoue, quand je regarde l’action et le positionnement de ce gouvernement au sujet des étrangers. Mais la faute n’incombe pas qu’à vous, cette tendance à prendre le problème dans le mauvais sens est maintenant chronique. Vous n’êtes que le dernier maillon d’une bien triste chaîne.

Comment est-il possible d’être aveugle à ce point, de ne pas comprendre que ce qui pousse les immigrés à venir en France ce n’est pas la France elle-même (enfin pas seulement) mais la situation dans leur propre pays ? Et que c’est donc là bas, et pas à nos frontières ni dans des charters qu’est la solution.

Mon père est immigré, je suis née ici et j’aime la France, parce que j’y ai mes racines, ma famille et mon tissu social.

Mais j’aime surtout ce pays parce que  la différence, le choix y sont possibles et que l’égalité des chances peut y être une réalité qui va au delà des discours politiques.

Ce débat sur l’identité nationale qui surgit pile maintenant, c’est d’abord une manoeuvre électorale grossière. Personne n’est dupe quant à votre volonté d’attirer des électeurs qui ont ce thème vissé au coeur de leurs discours extrémistes. On pourrait en disserter longtemps.

Mais au delà de ça, c’est surtout la matérialisation de VOTRE incapacité en tant que gouvernants (vous et tous vos prédécesseurs) à générer cohésion sociale et solidarité entre nous autres concitoyens.

Le souci c’est qu’en cherchant une réponse à cette question au demeurant intéressante, vous menez la discussion dans la mauvaise direction.

Votre identité nationale n’existe plus depuis longtemps, depuis que l’on refuse l’ouverture, la diversité, depuis que la France se replie sur elle même par peur de se faire manger. Et pour être honnête, vu la conception que vous en avez, j’espère que cette identité ne verra jamais le jour.

J’ai espéré que ce débat malgré son intitulé dangereux mènerait peut être vers des idées d’ouverture et une réelle réflexion sur les diversités qui font la richesse de ce pays, qu’on irait au delà du sempiternel « faut-il apprendre la marseillaise à l’école? ». Au lieu de cela, c’est déjà le reproche, la faute de l’autre, le rejet, le refus de la différence.

Vous n’arriverez pas à créer une identité nationale Monsieur Besson. De la même façon que l’on ne peut forcer les membres d’une même famille à s’aimer, on ne peut forcer les Français à se sentir proches, unis au sein d’un même peuple, surtout si on les encourage à considérer toute une frange de la population (les français issus de l’immigration comme l’on dit, et les immigrés) comme des gens que l’on se contente de tolérer parce que l’on a pas le choix, ou que l’on ne sait quoi en faire d’autre.

L’identité nationale au sens où vous l’entendez c’est surtout c’est le meilleur moyen de créer des racismes et des critères de rejets au sein d’une société de plus en plus vérolée par la peur de l’autre.

Croyez vous sincèrement que les paroles d’une chanson guerrière, quelques cours d’instruction civique sont des choses qui sont de nature à donner aux gens l’envie de vivre ensemble? L’envie d’appartenir au même peuple?

En favorisant le refus de l’immigration, le rejet des étrangers, vous favorisez le racisme envers les gens comme moi. Ceux qui sont devenus français, ou leurs enfants qui sont nés ici.
Ils sont français au même titre que vous, et pourtant aujourd’hui encore ne sont que tolérés.

Comment voulez vous que toutes les composantes de la population française ne se craignent pas, pire ne se détestent pas, quand encouragez la persévérance de clichés dépassés, passéistes, et étriqués en présentant une grosse partie de ce qui compose la population française aujourd’hui comme des profiteurs d’aide sociale, un frein à l’économie, des envahisseurs qu’il faut refouler, des gens qui pratiquent une religion qui vous dérange?

La chose qui me rappelle en permanence que je ne suis pas considérée comme étant d’ici alors que j’y suis pourtant née, et que je suis française, ce ne sont pas les lois, ni mon nom de famille, ni celui de mon père, ni le fait qu’il soit né au Sénégal, ni le courrier qu’il m’arrive encore parfois de recevoir d’Afrique, ni la couleur de ma peau dans le miroir le matin.

Non, ce qui me le rappelle ce sont votre refus de ce que je suis en tant que française « comme les autres », vos polémiques, vos discours stériles sur les quotas.

Je n’ai pas de haine et je suis ce que l’on appelle une enfant de l’immigration bien intégrée dans votre société que je considère comme la mienne.

Mais par respect pour ceux qui se sont battu en ce sens, j’ai décidé moi aussi de me battre avec mes modestes armes (l’écrit) contre l’ignorance que vous encouragez simplement parce que c’est plus facile pour vous et que cela favorise vos visées électorales. Il est en effet plus facile de fermer une frontière que d’aider le tiers monde à se relever, plus facile d’imposer une marseillaise que d’encourager les gens à découvrir d’autres cultures ou ne pas hair leur voisin parce qu’il des origines étrangères.

Si ma position « d’étrangère » intégrée peut donner plus de poids à mon argumentation alors je me dois de parler,  et de contrebalancer le silence de tous ceux que vous faites taire en les décridibilisant, en les faisant passer pour des pilleurs d’aide, des fénéants, des chômeurs, des sdf, terroristes potentiels ou des extrémistes en puissance au prétexte qu’ils sont différents.

Nous autres enfants d’immigrés, jamais il ne nous sera pardonné qu’un jour, pour s’offir et nous offrir une vie meilleure, nos parents aient posé leurs fesses et leur courage dans un avion, sans billet de retour. Jamais on ne nous pardonnera de travailler à vos cotés au lieu de vous servir des cocktails dans un hôtel d’une destination soleil, jamais on ne nous pardonnera d’être aussi intelligents et doués que vos enfants, jamais on ne nous accordera une aide quelconque sans nous accuser implicitement de ne pas la mériter ou d’en avoir privé quelqu’un qui aurait été plus français que nous.

J’ai bien conscience que ma lettre ira probablement bien vite rejoindre la poubelle de l’un de vos stagiaires ou conseillers.

Peu importe, là n’est pas le plus important.

Je ne l’écris pas pour vous convaincre, mais parce que je veux que tout le monde considère comme normal que quelqu’un comme moi, quelqu’un comme mon père, ou quelqu’un comme les enfants que j’aurai peut être puisse avoir dans ce pays le sentiment d’y être à sa place. Pas parce qu’on aura bien voulu le tolérer, mais parce que cela semblera naturel à tous.

Ce jour là la France aura retrouvé son identité.

Et pour y arriver il faut en parler autour de soi, essayer de convaincre par tous les moyens, susciter les prises de conscience et les discussions.

Peut être que cette lettre fera réfléchir au moins une personne,  celui ou celle qui la lira, ou bien les lecteurs de mon blog où je vais la publier aussi.

Et peut être pas.

Mais au moins j’aurai essayé.

  1. oui la référence est facile mais je n’ai pu m’en empêcher, et elle note la force de mon désaccord avec votre politique

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One Response to “Cher Monsieur Besson,”

  1. identité nationale et pièces rapportées — intraordinaire :

    […] Luckyslug, Cher Monsieur Besson […]

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