Michel a pris cette photo il y a un mois, pour tester un nouvel objectif. A ce moment là, gonflés à bloc par notre insouciance de futurs vacanciers sur le point d’accomplir le voyage de leurs rêves, nous comptions les jours qui nous séparaient de notre départ vers le Japon.

Et puis vendredi dernier il y a eu le tremblement de terre, le tsunami, et Fukushima.

La joie a fait place à l’effroi.

(© Michel Valdrighi)

Pas facile de ne pas se sentir coupable, même si on n’y est pour rien. Pas facile de se décider, mince, on y va ou pas? Le simple fait de se poser cette question semble par moment tellement dérisoire au regard du malheur de tous ces gens.

Pas facile de savoir comment réagir face à des amis qui sont concernés, qui y ont de la famille, qui s’inquiètent. Pas évident non plus de savoir quelle attitude adopter avec nos potes qui sont là bas et qui devaient nous balader et nous aider à faire les touristes.

Ce n’est pas évident de ne pas heurter les gens, tout simplement. Et à vrai dire, je pense que c’est de ça dont j’ai eu, et dont j’ai encore le plus peur. Les blesser en y allant, les blesser en en parlant. Je ne sais pas.

Pas facile de savoir quelle attitude adopter entre ceux qui nous reprochent de nous inquiéter pour nos vacances de riches et nos familles qui ont peur que l’on revienne irradiés.

J’en veux beaucoup aux médias qui dans leur choix de faire du sensationnalisme ont totalement occulté la vraie catastrophe dans tout ça: les milliers de gens qui ont tout perdu, qui ont froid et faim et qui se contrefoutent de cette centrale et veulent juste un toit et à manger.

Pas facile non plus de faire le tri entre les gens qui se sont sincèrement inquiétés pour nous, croyant que nous étions déjà là bas et les autres, qui vous snobent toute l’année mais viennent vous parler juste histoire de bien vérifier que le voyage de votre vie est annulé (mon dieu ce que ceux là ont été nombreux, je ne m’y attendais pas).

Il y a ceux qui disent que nos vacances seront gâchées, que « ça ne sera pas pareil » (alors que nous n’allons que dans des zones qui n’ont pas été touchées par le tsunami ou la radioactivité) et il y a ceux qui pensent que c’est justement maintenant qu’il faut aller y dépenser notre argent. Que c’est la meilleure façon de les aider (même si à mon avis faire un don à la croix rouge est nettement plus efficace).

Je n’ai aucune réponse à toutes ces questions, et pourtant ça m’aurait bien aidée à prendre ma décision. J’ai bien conscience du fait que certaines de mes inquiétudes bien que naturelles peuvent paraître déplacées, tout simplement parce qu’elles le sont face à l’horreur de ce qui s’est passé.

Je voulais faire ce voyage avant tout pour rencontrer les gens, leur parler, m’imprégner de leur culture, me perdre, découvrir. Je crains qu’une fois sur place, le spectre de ce drame ne me pétrifie et  me rende affreusement timide.

Au final, je ne sais pas ce qui est bien ou mal dans une telle situation, ni ce qu’il faut faire ou ne pas faire.

Nous sommes trois à partir, et je crois bien qu’aucun d’entre nous n’a de réponse. Alors après pas mal d’hésitations, nous avons finalement pris une décision (enfin c’est surtout moi qui ait hésité pour le coup, les garçons étant bien plus téméraires et confiants que moi, je l’avoue).

Comme c’était prévu, dans un peu plus d’une semaine (s’il n’y a pas d’aggravation du coté de Fukushima), le 31 mars prochain nous embarquerons dans un avion à destination de Tokyo pour ce qui sera j’espère une belle aventure humaine et touristique.